Une appropriation émotionnelle de l’espace-temps
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Chjoccu d'Arte, Interlude culturel réalisé par Pastaprod. Ce programme court a pour but d'ouvrir une fenêtre sur le monde de l'art et d'établir une cartographie de l'art insulaire. |
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Déambulations Erratiques.
Colla è falla, Photographies, 2007. |
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Processus de création des « vidéo-haïkus »(1) : S’imprégner, Marcher, Rêver
Loin de fonctionner comme un décor secondaire, l’environnement du sujet apparaît comme le point de départ et constitue l’ossature fondamentale de ma pratique plastique qui porte avec les moyens conjugués de la vidéo et du dessin, sur les glissements du temps et de la durée, sur leur mutuelle incarnation dans des corps mis en résonance avec leurs déambulations désinvoltes. Dans mes vidéos, le son, le souffle est important et il contribue à faire ressentir un certain vertige. La dimension sonore participe à la trame du visuel, à son rythme, à ses variations émotionnelles. Elle combine des sonorités synthétiques et des bruits concrets de frottements de surfaces, de froissements, de griffures |
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Déambulations Erratiques, Photographies, 2007. |
En ce sens, il ne s’agit pas de picturaliser le son, c’est-à-dire d’accompagner la musique ou de doubler une forme autonome par une autre, mais d’associer, une multiplicité d’images – elles-mêmes topologiquement discrètes- à un mouvement musical parallèle mais dissymétrique, fréquemment anticorrélé. Il s’agit en quelque sorte d’appréhender le potentiel sonore que referme le milieu parcouru, tel le vent qui, comme la mer, produit un nombre infini de variations vocales, de sensations tactiles aussi bien qu’auditives. La structure sonore apporte en fait la temporalité, une durée effectivement vécue qui fait défaut au travail de l’image. Ainsi reconnue comme nécessaire, elle permet de lui injecter une rythmique effectivement ressentie, qualifiant ainsi de façon immanente l’espace multidimensionnel.
Il ne s’agit donc pas de filmer ou de représenter le lieu mais plutôt d’ouvrir le corps filmant et la perception à la mouvance du monde, le pied, le pas, s’accordant au lieu à chaque instant. Le pied et le sol forment un mixte, un ensemble percussif, en quelque sorte un quantum rythmique (2) et induisent dans leur alliance contrariée, discontinue, une écoute spatiale du paysage. Dans l’acte même de filmer, la gestuelle apparaît comme une danse dans la continuité d’un regard acentré, absorbé par des rapports de vitesses de perceptions hétérogènes, tâtant le pouls des milieux qui prennent consistance dans la fluidité à travers un champ de perception dispersif. Le cheminement apparaît simultanément comme mode de lecture et d’écriture de l’espace qui peut être capté et retranscrit par le medium vidéographique.
Ce qui est donné à voir dans ces vidéos participe du détachement du sujet qui conduit à une sorte d’enivrement topologique. Les différents milieux traversés qui s’enchevêtrent dans la discontinuité ne constituent pas un assemblage de termes mutuellement indifférents puisque chaque fragment de ces champs, milieux où le corps se meut, possède toujours une organisation interne articulée à sa corporéité. Cela signifie que les perçus , qui ne sont pas la juxtaposition d’apparences fixées par le regard mais les configurations dynamiques des apparitions phénoménales explorées par le regard, sont ordonnés spatialement selon le déploiement d’un lieu relationnel toujours habité par le corps.
Aller à la rencontre du lieu. Qu’est-ce à dire ? Comme phénomène de déroulement, la marche est exemplaire : elle engendre la profondeur spatiale dans la scansion des pas, au fil du rythme. Au cours de la marche s’instaure la cadence dans laquelle le corps s’installe, prenant possession de l’espace mouvant, il invagine l’espace autour en lieu. Le cheminement physique d’un individu apparaît tel un ensemble d’intervalles, d’instants vécus en conscience et d’autres en lâcher-prise, toujours discontinu. Marcher ici coïncide avec la tension d’une écoute: écouter des milieux, entrer en résonance, tendre et être tendue par ce qui sonne du lieu.
Loin de postuler une stabilité du moi, une unité de la personne, tout se passe comme en transition du régime optique (avec les perspectives qu’offre le regard) à un régime de l’écoute où la dimension sonore privilégie une disposition de résonance par la tension de l’oreille et la vibration du corps. Dans le lâcher-prise, par, simultanément, la densité énergétique, l’enchevêtrement des vitesses, des qualités de mouvement, il s’agit de donner à voir au travers de dessins et d’installations vidéographiques, un non-rapport à soi, une sorte d’absence, de décalage qui met en jeu les différences polyphoniques de l’instant.
Chuchoter, murmurer jusqu’à hurler la présence du lieu en soi, c’est mettre le sujet en rythme par l’écoute diffractée et dissipée d’une ambiance, comme ce qui tourne autour du corps et qui retentit en lui. Ecouter la sonorité, le timbre, le ton d’un lieu implique un devenir-tambour c’est-à-dire un corps comme peau tendue, caisse de résonance qui remet en jeu, renvoie et réverbère les blocs de réel captés en vidéo dans la dynamique de prises de vues ou plutôt de captures de flux.
Cette écoute a lieu au cours de marches topologiques qui dessinent des tissages singuliers de perceptions et laissent quelques traces, par la performance paradoxale d’un corps dansant tout à la fois vigile et aveugle. L’espace se danse. Ainsi, ma démarche plastique incorpore comme donnée fondamentale et imprévisible dans le processus de création, cette résonance de l’espace dans le corps lorsque le mouvement de caméra devient une danse.
De ces déambulations, émergent des modules séquentiels basiques sonores et visuels, générateurs d’entités discrètes qui condensent en latence, la probabilité de s’impliquer à nouveau dans d’autres contextes consistants. Ces entités élémentaires développent de multiples épaisseurs temporelles qui s’intègrent dans des environnements actés plus complexes, des architectures liquides où des danseurs interagissent de façon kaïrotique, c’est-à-dire dans un temps agi, le temps de ce qui n'est pas prévisible et qui implique des singularités non déterminables d'avance.
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1.Ces agrégats vidéo définissent chacun une qualité spécifique de mouvement. Ils entrelacent des nuances temporelles, des degrés de conscience différents, des flux dans lesquels on retrouve différentes densités, des élans, des ruptures, des moments de suspension. Ces modules devenant attracteurs constituent des patterns qui peuvent engendrer une variété de densités singulières, ce que j’appelle les vidéo-haïkus.
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2. C’est-à-dire une dimension élémentaire du rythme.
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3. Ces détails, fragments de milieux parcourus par un corps en marche, n’apparaissent pas comme des objets disposés dans un espace objectif à partir d’une sorte de poste fixe d’observation, mais figurent autant de perçus articulés par des rapports de tension, de façon musicale ou dansante. | ||